domingo, 14 de agosto de 2011

Printemps moisi

Car il est toujours prudent de dissimuler. Avouer que l'on n'est occupée qu'à se souvenir, c'est de quoi blesser un innocent. Et comment ferai-je croire à celui-ci, qui m'interroge, que passé soixante dix ans je suis en train de regretter, avec une force et une intolérance si têtues, une saison, un buisson, un ciel, un pays, une possession sans mesure et inaliénable? Retirons-nous donc, mes défunts printemps et moi, derrière les gros premiers plans de ma fausse turbulence, puis gagnons l'abri de ma patience authentique.
- Mais tu ne souffres pas davantage de ta jambe?
- Pas question. Je réfléchis!
Je réfléchis. C'est beaucoup dire, mais c'est dit avec assez d'emphase comique pour que se rassure celui qui s'inquiète. Faut-il vraiment donner le nom de pensées à une promenade, à une contemplation sans buts ni desseins, à une sorte de virtuosité du souvenir que je suis seule à ne pas juger vaine? Je pars, je m'élance sur un chemin autrefois familier, à la vitesse de mon ancien pas, je vise le gros chêne difforme, la ferme pauvre où le cidre et le beurre en tartines m'étaient généreusement mesurés.

Colette, L'étoile vesper, Editions du Milieu du Monde, 1946.

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